François Rabelais

Pantagruel et Gargantua

Bien que Gargantua (1534) suive l’ordre de publication de Pantagruelin, toutes les éditions modernes le placent au début du roman puisque les événements qu’il relate sont antérieurs à ceux de Pantagruel. La création de Gargantua, l’histoire du père de Pantagruel, atteste du succès du premier tome. Rabelais, à l’instar de nombreux auteurs médiévaux de chansons de geste, élargit sa matière à travers un portrait des antécédents du héros. Le rapprochement avec la littérature médiévale n’est pas gratuit. Dans la conception (la vie et les épisodes chevaleresques d’une famille de géants) et l’exécution (utilisation de la langue vernaculaire, amour du langage, jeux de mots, mélange de styles populaires et savants), les deux premiers volumes du roman de Rabelais reflètent des pratiques bien développées dans la littérature médiévale et connues de Rabelais à travers les romans chevaleresques français et italiens, leurs parodies, et Les Grandes et inestimables croniques du grand et énorme géant Gargantua. À en juger par la nature légère et simple de Pantagruel, où les traces des thèmes importants de Rabelais ne sont pas toujours évidentes, il semble peu probable que l’écrivain ait prévu les volumes à suivre ou même l’utilisation sérieuse à laquelle son roman pourrait être mis.

Il serait également incorrect de dépeindre Pantagruel comme dépourvu de tout matériel controversé. Elle et Gargantua étaient signées d’un pseudonyme, Alcofrybas Nasier, anagramme de François Rabelais. La Sorbonne a condamné les deux livres. Pantagruel n’est pas seulement les blagues folles de Panurge ou la guerre fantastique entre les Dipsodes et les Amaurotes. En dépeignant les aventures de Pantagruel avec des affaires juridiques et des débats, Rabelais fait une satire de bon cœur des  » savants  » déconcertants, si méprisables pour les humanistes. Lorsque Pantagruel visite la Bibliothèque de Saint Victor, il trouve des titres tels que Le Codpiece de la Loi et celui de Béda de l’Excellence des Tripes. Si le premier titre est une pure comédie, le second lance une barbe satirique à Noël Béda, catholique conservateur et ennemi notoire des réformateurs.

Les questions religieuses contemporaines ne cessent de réapparaître et expliquent sans doute la condamnation de la Sorbonne. Avant une bataille, Pantagruel promet à Dieu que s’il est victorieux, il fera prêcher la parole de Dieu  » purement, simplement et entièrement, afin que les abus d’une foule d’hypocrites et de faux prophètes soient éradiqués de la terre. » La sympathie de Rabelais pour la réforme ne pouvait être plus claire. Il faut également mentionner la lettre de Gargantua à Pantagruel, dans laquelle le père oppose l’ignorance de son époque au nouvel apprentissage. Cela montre que l’idée d’une renaissance en France à cette époque était commune chez les humanistes eux-mêmes.

Il y a des contrastes saisissants entre Pantagruel et Gargantua. Bien que les deux discutent de religion et de guerre, Gargantua donne à ces sujets un traitement étendu dans lequel les pensées sérieuses de Rabelais dirigent la discussion au lieu d’apparaître sporadiquement comme dans Pantagruel. Le lecteur apprend d’abord comment Gargantua a été enseigné par un théologien (scolastique) (changé dans les éditions ultérieures en « sophiste »). Gargantua étudie ces textes longtemps discrédités par l’érudition humaniste et prouve sa valeur en apprenant à mémoriser des textes en arrière. Sous d’autres sophistes, il se lève tard, passe peu de temps à étudier ou à faire de l’exercice, mais mange, boit et entend de 6 à 30 messes. Puis Gargantua reçoit un tuteur formé à la nouvelle pensée humaniste et religieuse. Le tuteur consulte un médecin afin que le régime de Gargantua profite autant au corps qu’à l’esprit. Le garçon se lève tôt et lit une page des Écritures. Pendant la journée, pas une heure n’est perdue car l’élève s’efforce d’apprendre clairement ses leçons et d’absorber la grande variété de compétences requises d’un « homme de la renaissance. » Il y a des limites à la réforme éducative de Rabelais. Il a toujours mis l’accent sur la mémorisation, et il ne peut y avoir aucun doute sur l’importance continue de la religion. Sa réforme affecte plus les méthodes d’éducation que ses objectifs.

Les combats contre Picrochole sont destinés à montrer la haine de la guerre de Rabelais. La guerre est décrite comme interrompant des activités plus importantes, telles que l’apprentissage, et ayant une base irrationnelle. Lorsque Picrochole a été vaincu, un chapitre entier est consacré au traitement des vaincus par Gargantua. Ses actes incarnent la charité chrétienne. Seuls le ministre maléfique du Roi et deux instigateurs de la guerre reçoivent une punition (une punition très humaniste) : ils tournent l’imprimerie de Gargantua!

Les chapitres de clôture de Gargantua sont consacrés à l’Abbaye de Thélème, un lieu utopique, où la devise est  » Fais Ce que Tu Veux. » La phrase a été interprétée à la fois comme une déclaration franche de l’immoralité de Rabelais et de sa confiance en la bonté innée de l’humanité. Le texte ne confirme aucune interprétation. Les salles de Thélème ont une chapelle pour le culte, et Rabelais énumère soigneusement ceux qui sont exclus de Thélème (hypocrites, avocats, usuriers et fauteurs de troubles jaloux) ou invités (nobles seigneurs, dames et ceux qui exposent activement les Écritures). La religion n’est guère absente de cette abbaye qui n’est pas non plus pour tout le monde, et l’inclusion de l’aristocrate en dit probablement plus sur l’association (traditionnelle) de Rabelais entre noblesse de naissance et noblesse d’âme que sur son attitude envers le péché originel. Dans les trois éléments de Gargantua — éducation, guerre, les propos de Thélème—Rabelais sont constructifs et positifs.

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