LE GRAND CARÊME UNE COUTUME TRADITIONNELLE DU RITE BYZANTIN

LE GRAND JEÛNE ou JEÛNE de QUARANTE JOURS

Le Jeûne est l’une des pratiques les plus anciennes et les plus vénérables de l’Église qui nous est parvenue par une « tradition interrompue. » (Saint Basile, Hom. sur le Jeûne I, 5)

Nous avons différents jours et saisons de Jeûne dans le Rite byzantin mais, dans cette brochure, nous limiterons notre présentation au Jeûne pré-pascal connu sous le nom de Grand Jeûne. On l’appelle le Grand Jeûne non seulement en raison de sa durée (sept semaines) mais surtout en raison de son importance pour le renouveau spirituel des fidèles. En Vieux Slave, le Grand Jeûne est appelé « Svjata Chetyredesjatnicja », ce qui signifie les Quarante Jours Saints, tandis qu’en anglais, il est appelé Carême de l’Anglo-saxon Lencten, ce qui signifie printemps. Le Grand Jeûne peut être décrit comme une période de quarante jours de prière, de pénitence et d’exercices spirituels en préparation à la célébration appropriée de Pâques.

1. Le Grand Jeûne, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est le résultat d’un développement historique des plus compliqués, dont toutes les étapes n’ont pas été, jusqu’à présent, suffisamment expliquées. Il semble qu’au IIe siècle, l’Église ne connaissait qu’un jeûne très court (un jour ou deux) avant le Pasch. Au cours du troisième siècle, le jeûne prépaschal a été étendu à toute la semaine connue sous le nom de Passion ou Semaine Sainte. (cf. Oidascalie XXI, 24) La première mention du Jeûne de Quarante Jours est faite dans le cinquième canon du Concile de Nicée (325). À partir de ce moment, le Jeûne de quarante Jours est discuté par de nombreux Pères de l’Église et St. Athanase (d. 373) n’hésite pas à dire: « Quiconque néglige d’observer le Jeûne de quarante Jours n’est pas digne de célébrer la Fête de Pâques. » (cf. Lettres Festales XIX, 9)

Le Synode de Laodicée (vers 360) imposa pour la première fois la stricte obligation de jeûner quarante jours avant Pâques. À la fin du fourth siècle, le Grand Jeûne, connu des Grecs sous le nom de « Tessaracoste » (Quarante Jours) et des Romains sous le nom de « Quadragesima », était généralement observé par toute l’Église.

2. Historiquement, l’institution du Grand Jeûne remonte au fourth siècle, mais il est impossible de déterminer quand, où et pourquoi cette vénérable pratique a été établie. Son origine doit être recherchée en relation avec l’institution du catéchuménat.

L’Église primitive, ayant établi Pâques comme jour solennel du baptême, a soumis les candidats (catéchumènes) à un entraînement spirituel intensif pendant la période pré-pascale. Pour les encourager, les parrains, les parents et les amis des catéchumènes ont progressivement commencé à participer à leurs exercices quotidiens, comme en témoigne S1. Justin Martyr:

« Ceux qui croient en la vérité de notre enseignement, tout d’abord, promettent de vivre selon cet enseignement.

Ensuite, nous leur apprenons à prier et à implorer Dieu en jeûnant pour la rémission de leurs péchés ; et nous (les fidèles) prions et jeûnons avec eux aussi. » (cf. Je m’excuse, 61)

Moïse (Ex. 24, 18; 34, 28) et après lui Élie (I Kg. 19, 8) se sont préparés à rencontrer le Seigneur par la prière et le jeûne pendant quarante jours. À leur imitation, la formation des catéchumènes a également été étendue à quarante jours, comme en témoigne Eusèbe de Césarée (d. 339): « Nous nous soumettons à l’exercice de quarante jours comme préparation à la Fête de Pâques à l’imitation de ss. Moïse et Élie. » (tomodensitométrie. Pasch. Solennel. 4)

Une influence décisive sur l’institution du jeûne prépaschal fut l’exemple de notre Sauveur qui passa quarante jours à jeûner dans le désert (M1. 4, 1-11) comme le suggère le document du quatrième siècle: « Le jeûne de quarante jours doit être observé comme un mémorial du chemin de lite de Notre Seigneur et de Sa législation. » (cf. Apost. Const. V, 13)

3. À l’origine, la période de quarante jours a été calculée à partir du vendredi Saint, le jour de la Fête de la Crucifixion, puis étendue à six semaines. À Constantinople, lorsqu’ils ont transféré le baptême solennel de Pâques au samedi de Lazare, la saison de préparation du Carême devait également être anticipée d’une semaine. Ainsi, selon la pratique byzantine, le Grand Jeûne a commencé sept semaines avant Pâques et s’est terminé le vendredi précédant le samedi de Lazare. Aux Vêpres de Lazare, nous chantons: « Nous avons conclu les Quarante Jours bénéfiques (Carême) et nous Vous implorons, 0 Amoureux de l’Humanité, de nous faire voir la Semaine Sainte de Votre Passion et de louer Votre œuvre (de rédemption). » Liturgiquement donc, notre Grand Jeûne se termine le vendredi précédant le samedi de Lazare et dure exactement quarante jours.

La Semaine Sainte, dans le Rite byzantin, est considérée comme une « semaine spéciale » et, à proprement parler, n’est pas incluse dans le Jeûne de Quarante Jours comme l’indique Saint Jean Chrysostome: « Nous sommes enfin arrivés à la fin des Quarante Jours Saints et, avec l’aide de Dieu, nous avons atteint cette Grande Semaine (Sainte). Pourquoi appelons-nous cette semaine géniale? En raison des grands et indescriptibles avantages qui nous sont tombés au cours de cette semaine. » (cf. Hom. le Gen. XXX, 1)

Dans le Rite romain, la Semaine Sainte était incluse dans le Carême et le Carême durait six semaines. Mais plus tard, lorsque les dimanches de Carême furent exemptés de jeûne en Occident, le Carême ne dura que trente-six jours. Cette situation a été corrigée au VIIe siècle en ajoutant quatre jours de jeûne supplémentaires au début du Carême avec le premier jour de Carême le mercredi des cendres. C’est la raison de la différence du premier jour de Carême entre le rite byzantin et le Rite romain.

4. Selon la tradition byzantine, la discipline du Carême se compose de trois parties distinctes; 1. Jeûne corporel ou externe, y compris l’abstinence de certains aliments, boissons et amusements; 2. Jeûne spirituel ou interne qui consiste en l’abstinence de « tout mal » – le péché; 3. Le renouveau spirituel obtenu par la pratique des vertus et des bonnes œuvres.

Le Jeûne corporel, aussi appelé jeûne ascétique, s’est développé principalement sous l’influence de la discipline monastique et est devenu très rigide, comme le décrit saint Théodore Studite (d. 826): « Pendant le Grand Jeûne, nous ne mangeons qu’une seule fois vers la neuvième heure (c’est-à-dire 15 heures) en ne prenant que de la nourriture sèche et des légumes sans huile; nous ne buvons pas non plus de vin, sauf le samedi et le dimanche, où nous sommes également autorisés à manger du poisson.

Rue. Théodore, qui suivait une discipline monastique modérée, donne le conseil suivant: « En ce qui concerne la quantité et la qualité de la nourriture, vous devez jeûner autant que votre corps peut supporter. » (cf. Épistolaire, 1. II, ép. 135) Le même principe devrait être appliqué aujourd’hui puisque nos règlements de Carême ne prescrivent qu’un signe de jeûne.

Afin de créer une atmosphère de prière pendant le Carême, les Pères ont insisté sur une abstinence complète de toutes sortes d’amusements, c’est-à-dire de musique, de danses, de fêtes pendant le Carême (cf. Hom. Contre les ivrognes, 1-2) et st. Jean Chrysostome a châtié ceux qui, pendant le Grand Jeûne, « osaient assister à des courses de chevaux. » (cf. Hom. sur Gen. VI, 1) Ce point de jeûne doit être souligné aujourd’hui avec la manie du divertissement qui assaille nos jeunes générations.

5. Le jeûne spirituel ou interne, qui est l’abstinence de tout mal – en particulier du péché grave – est la partie la plus essentielle du jeûne. Saint Jean Chrysostome a enseigné que « la valeur du jeûne ne consiste pas tant dans l’abstinence de nourriture, mais plutôt dans le retrait des pratiques pécheuses. » (cf. Hom. sur les Statuts III, 11) Saint Basile le Grand explique: « Se détourner de toute méchanceté signifie garder notre langue sous contrôle, contenir notre colère, réprimer les mauvais désirs et éviter tous les ragots, les mensonges et les jurons. S’abstenir de ces choses – c’est là que réside la vraie valeur du jeûne! » (cf. Hom. au Jeûne II, 7) C’est l’harmonie avec le cri du prophète: « Revenez de vos mauvaises voies et réformez vos mauvaises actions! » (JER. 18, 11) Ainsi, saint Jean Chrysostome dénonce la folie de ces chrétiens qui  » s’abstiennent toute la journée de la nourriture mais ne s’abstiennent pas du péché. » (cf. Hom. sur Gen. VI, 6) Nous sommes tous pécheurs et « si nous disons que nous n’avons pas de péché en nous, nous nous trompons nous-mêmes. »(I Dans. 1, 8)

La loi divine prescrit que nous faisons pénitence, car « si nous ne nous repentons pas, nous périrons tous.  » (LC. 13, 3) Le Carême a toujours été une période spéciale de repentance et de pratiques pénitentielles par lesquelles les chrétiens cherchaient la réconciliation avec Dieu et l’expiation de leurs péchés. C’était un temps mis de côté pour un accomplissement digne de son devoir de Pâques, comme l’explique Saint Jean Chrysostome :

« Dans les temps anciens, de nombreux chrétiens recevaient les Saints Mystères (Communion) au hasard et sans discrimination, surtout le jour de leur institution (Le. Jeudi Saint). Voyant le grand mal qui vient de la réception négligente de la Communion, les Pères ont réservé quarante jours (de Carême) pour la prière, l’écoute de la parole de Dieu et la participation aux offices afin que, après une purification appropriée de notre cœur par la prière, le jeûne, l’aumône, les veillées nocturnes et la confession, nous puissions recevoir la Sainte Communion en toute conscience autant de fois que possible. » (cf. Hom. contre les Juifs III, 4)

6. Le renouvellement spirituel, avec la pratique des vertus et la réalisation de bonnes œuvres, doit être l’objectif principal de notre jeûne, comme le suggère Saint Basile dans son homélie sur le jeûne: « Acceptez le jeûne comme un éducateur expérimenté par qui l’Église nous enseigne la piété. » (cf. Hom. sur le Jeûne II, 3)

Les Pères de l’Église ont insisté pour que pendant le Carême les fidèles assistent aux offices religieux de Carême enrichis d’hymnes liturgiques émouvants, de prières pénitentielles et de prosternations. Une de ces prières pénitentielles avec prosternations, attribuée à saint Ephraem (d. 373), est encore utilisé dans nos églises aujourd’hui. (cf. Quatrième de couverture) Des sermons spéciaux de Carême étaient prêchés tous les soirs pendant le Carême (cf. Saint Chrysostome, Hom sur Gen. XI, 3) exhortant les fidèles à « mourir au péché et à vivre à Dieu en Jésus-Christ. » (ROM. 6, 11)

Vivre « en Christ » signifiait aussi une communion fréquente. Saint Jean Chrysotome a encouragé son peuple à recevoir la Sainte Communion  » autant de fois que possible  » (cf. Hom. contre les Juifs III, 4) et Saint Basile a recommandé la communion quotidienne comme une « pratique la plus bénéfique. » (cf. Ep. 93)

Pour donner aux fidèles la possibilité de recevoir la Sainte Communion tous les jours du Carême, même les jours aliturgiques, les Pères ont introduit la Liturgie des Dons Présanctifiés. (cf. Conseil de Trullo, can. 52) Cette liturgie a également favorisé le jeûne toute la journée puisqu’il était célébré tard dans la journée (après 15 heures) et que les fidèles devaient respecter le « jeûne eucharistique » pour recevoir la Communion.

Au cours des derniers siècles, malheureusement, un véritable renouveau de la vie chrétienne a été remplacé par un « accomplissement formel du Devoir de Pâques » sans insister sur un sincère « changement de cœur » (Gr. métanoia, utilisée pour la repentance) et la pratique des œuvres pénitentielles. Et pourtant, nous devons admettre, avec saint Jean Chrysostome, que  » Le jeûne ne nous profite pas s’il n’entraîne pas notre renouveau spirituel  » (cf. Hom. sur Gen. XI, 3)

7. Au cours des siècles, notre discipline de jeûne a subi de nombreux et radicaux changements. L’observance des Quarante Jours Saints (Carême) n’est qu’un simple formalisme, réduit à l’abstinence certains jours et sans aucune contrainte sur le renouvellement spirituel ou l’amendement de sa vie.

Il est urgent que nous revenions à l’esprit immaculé du Grand Jeûne comme le conseillait le grand Docteur de l’Église, saint Jean Chrysostome: « Il est nécessaire que, pendant le jeûne, nous changions toute notre vie et pratiquions la vertu. » (cf. Hom. sur les Statues 111, 19), c’est dans cet esprit que l’Église, ces dernières années, a considérablement assoupli les aspects extérieurs du jeûne, espérant que les fidèles corrigeraient leur idée fausse de l’esprit du Carême et consacreraient plus d’attention à la pratique des vertus et à faire de bonnes œuvres. (cf. Pape Paul VI, Apost. Const.  » Repentir.  » Feb. 17, 1966. Ce même esprit de Carême a été souligné par saint Théodore Studite au IXe siècle dans son épistolaire: « Pendant le jeûne, purifions nos cœurs, sanctifions nos âmes et piétinons tous les vices. » (cf. Épistolaire, 1. II, ép.147)

Un retour au véritable esprit du jeûne est urgent dans le monde d’aujourd’hui. Il est urgent de nous aider à retrouver cette vision de la Vie Nouvelle que nous, dans notre monde séculariste, trahissons si souvent et perdons si facilement.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.