Théâtre de la Cruauté

Jean-Paul Delevoye

L’Encyclopædia Britannica décrit le Théâtre de la cruauté comme  » une expérience cérémonielle primitive destinée à libérer le subconscient humain et à révéler l’homme à lui-même « . Il poursuit en disant que Manifeste du théâtre de la cruauté (1932 ; Manifeste du Théâtre de la Cruauté) et Le Théâtre et son double (1938; Le Théâtre et Son Double) appelaient tous deux à  » la communion entre l’acteur et le public dans un exorcisme magique; gestes, sons, décors insolites et éclairages se combinent pour former un langage, supérieur aux mots, qui peut être utilisé pour subvertir la pensée et la logique et choquer le spectateur en voyant la bassesse de son monde. »Artaud a mis en garde contre les dangers de la psychologie au théâtre et s’est efforcé de créer un théâtre dans lequel la mise en scène, tout ce qui est présent dans la mise en scène d’une production, pourrait être comprise comme un langage scénique codifié, avec un accent minimal sur le langage parlé.

Définition du « théâtre » et de la « cruauté » d’Artaud Edit

Dans ses écrits sur le Théâtre de la cruauté, Artaud note que le « théâtre » et la « cruauté » sont séparés de leurs significations familières. Pour Artaud, le théâtre ne se réfère pas seulement à une mise en scène devant un public passif. Le théâtre est une pratique, qui  » nous réveille. Les nerfs et le cœur », et à travers lequel nous faisons l’expérience d’une « action violente immédiate » qui « nous inspire avec le magnétisme ardent de ses images et agit sur nous comme une thérapeutique spirituelle dont le toucher ne peut jamais être oublié. »

De même, la cruauté ne se réfère pas à un acte de violence émotionnelle ou physique. Selon l’érudit Nathan Gorelick,

La cruauté est, plus profondément, l’agitation incessante d’une vie devenue inutile, paresseuse ou retirée d’une force impérieuse. Le Théâtre de la cruauté exprime tout ce qui est « crime, amour, guerre ou folie  » pour  » enraciner en nous de manière inoubliable les idées de conflit perpétuel, un spasme dans lequel la vie est continuellement lacérée, dans lequel tout dans la création s’élève et s’affirme contre notre rang fixé.

Pour Artaud, la cruauté n’est pas exclusivement du sadisme ou de la douleur, mais tout aussi souvent une détermination physique et violente à briser une fausse réalité. Il croyait que le texte avait été un tyran sur le sens, et plaidait plutôt pour un théâtre composé d’un langage unique, à mi-chemin entre la pensée et le geste. Artaud décrit le spirituel en termes physiques, et croit que tout théâtre est une expression physique dans l’espace.

Le Théâtre de la Cruauté a été créé pour restituer au théâtre une conception passionnée et convulsive de la vie, et c’est dans ce sens de rigueur violente et de condensation extrême des éléments scéniques que la cruauté sur laquelle il repose doit être comprise. Cette cruauté, qui sera sanglante si nécessaire mais pas systématiquement, peut ainsi être identifiée à une sorte de pureté morale sévère qui n’a pas peur de payer à la vie le prix qu’elle doit payer.

— Antonin Artaud, Le Théâtre de la Cruauté, dans La Théorie de la Scène Moderne (ed. Eric Bentley), Penguin, 1968, p.66

Évidemment, les diverses utilisations du terme cruauté par Artaud doivent être examinées pour bien comprendre ses idées. Lee Jamieson a identifié quatre façons dont Artaud a utilisé le terme cruauté. Premièrement, il est employé métaphoriquement pour décrire l’essence de l’existence humaine.

la définition de la cruauté informe celle d’Artaud, déclarant que tout art incarne et intensifie les brutalités sous-jacentes de la vie pour recréer le frisson de l’expérience… Bien qu’Artaud ne cite pas formellement Nietzsche, contient une autorité persuasive familière, une phraséologie exubérante similaire et des motifs in extremis…

— Lee Jamieson, Antonin Artaud : De la théorie à la pratique, Greenwich Exchange, 2007, p.21-22

La deuxième utilisation du terme par Artaud (selon Jamieson) est une forme de discipline. Bien qu’Artaud ait voulu « rejeter la forme et inciter au chaos » (Jamieson, p. 22), il a également promu une discipline stricte et une rigueur dans ses techniques d’exécution. Une troisième utilisation du terme était « cruauté comme présentation théâtrale ». Le Théâtre de la cruauté visait à projeter le spectateur au centre de l’action, le forçant à s’engager instinctivement dans la performance. Pour Artaud, il s’agissait d’un acte cruel mais nécessaire sur le spectateur, destiné à le choquer de sa complaisance:

Artaud a cherché à supprimer la distance esthétique, en mettant le public en contact direct avec les dangers de la vie. En faisant du théâtre un lieu où le spectateur est exposé plutôt que protégé, Artaud commettait sur eux un acte de cruauté.

— Lee Jamieson, Antonin Artaud: De la théorie à la pratique, Greenwich Exchange, 2007, p.23

Artaud voulait placer le public au milieu du « spectacle » (son terme pour la pièce), afin qu’il en soit « englouti et physiquement affecté ». Il a décrit cette disposition comme étant comme un « vortex » – une forme en constante évolution – « à piéger et impuissant ». Il a également mis l’accent sur le son plutôt que sur les mots ou le dialogue, en incorporant des cris forts, des cris, des sons étranges ou des bruits qui mettent le public mal à l’aise. Les mots étaient un moyen d’expression insuffisant.

Enfin, Artaud a utilisé le terme pour décrire ses vues philosophiques.

Rupture avec le Théâtre Occidentalmodifier

Dans Le Théâtre et Son Double, Artaud exprime son admiration pour les formes orientales du théâtre, en particulier les Balinais. Artaud a estimé que l’objectif du théâtre en Occident était devenu beaucoup trop étroit — examinant principalement la souffrance psychologique des individus ou les luttes sociétales de groupes spécifiques de personnes. Il voulait approfondir les aspects du subconscient qui, selon lui, étaient souvent à l’origine des mauvais traitements infligés les uns aux autres par l’être humain. À travers un assaut sur les sens du public, Artaud était convaincu qu’une expérience théâtrale pouvait aider les gens à purger les sentiments destructeurs et à ressentir la joie que la société les oblige à réprimer. Pour Artaud,  » le théâtre a été créé pour drainer collectivement les abcès. »

Insuffisance de la languemodifier

Artaud pensait que la langue était un moyen totalement insuffisant pour exprimer un traumatisme. En conséquence, il estime que les mots doivent être dépouillés de leur sens et choisis pour leurs éléments phoniques. Selon l’érudit Robert Vork, « La parole sur la scène du Théâtre de la cruauté est réduite à des sons inarticulés, des cris et des cris de charabia, n’invitant plus un sujet à l’existence mais cherchant à empêcher son existence même. » Un peu paradoxalement, Artaud prétend que ses personnages sont capables d’exprimer des choses que les autres sont incapables de dire. Vork affirme: « Artaud semble suggérer que sa pièce révèle des émotions et des expériences que nous essayons tous de proscrire et que nous ne voulons pas reconnaître, mais qui se produisent néanmoins. »

« Théâtre impossible » Edit

Stephen Barber explique que « le Théâtre de la cruauté a souvent été qualifié de « théâtre impossible » — vital pour la pureté de l’inspiration qu’il a générée, mais désespérément vague et métaphorique dans ses détails concrets. »Cette impossibilité n’a pas empêché d’autres d’articuler une version de ses principes comme base pour leurs propres explorations. « Bien que beaucoup de ces artistes de théâtre aient proclamé une lignée artaudienne », soutient Susie Tharu, « l’Artaud qu’ils invoquent est marqué par un engagement aussi historique et transcendant que le leur. » Il y a, suggère-t-elle, un autre Artaud et  » la tradition à laquelle il était sage-femme. »

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